Les enfants de Tona Toraja dans leur costume traditionnel pour la cérémonie funéraire |
23 au 25 février 2011
C’est donc à 3 que nous prenons le bus pour nous rendre dans la plus fameuse région de l’île, Tana Toraja. Cette région est tout à fait spectaculaire par sa nature généreuse, sa jungle envahissante, ses immenses rizières en terrasses mais elle est unique à cause de ses rites funéraires ! Rien à voir avec les crémations népalaises… non, à Tona Toraja, on travaille toute sa vie pour se payer de belles funérailles, gages d’une vie meilleure dans l’haut-delà. Les funérailles sont en effet célébrées en grande pompe pendant plusieurs jours, des centaines d’invités, des dizaines de buffles et de cochons sacrifiés; plus le défunt occupe une place importante dans la communauté, plus la cérémonie est grandiose… et coûteuse… Ainsi, il faut attendre parfois plusieurs mois, voire un an, avant de pouvoir amasser l’argent nécessaire aux funérailles. Entretemps, le défunt est embaumé et «dort» dans la chambre principale de la maison orientée vers l’ouest (la fin de la vie). Il ne sera considéré comme «mort» seulement lors de la cérémonie funéraire; entretemps, il est «malade», on lui rend visite et on converse avec lui comme s’il était vivant. Nous avons eu la chance (!) d’assister aux funérailles d’un homme âgé. Les touristes sont les bienvenus moyennant une offrande, telles un carton de cigarettes, à la famille.
Procession des femmes devant les buffles sacrifiés |
Les autres familles du village offriront cochons et buffles qui seront sacrifiés puis dépecés sur la place centrale de la cérémonie. Spectacle pour le moins impressionnant, cœurs sensibles s’abstenir… La viande sera répartie entre chacun des invités de la cérémonie selon leur rang social. Les parents et proches du défunt revêtent leurs plus beaux habits traditionnels et reçoivent les invités et leurs familles. C’est parfois même l’occasion de faire la connaissance d’une parenté qui vit au loin et qu’on n’a jamais rencontrée ! Pour les 4 à 7 jours que dureront les funérailles, la famille du défunt a construit autour de sa maison de multiples abris temporaires qui serviront aux invités pour manger et dormir. Chaque abri est numéroté et est assigné à un groupe. Évidemment, les «festivités» dureront jusque tard dans la nuit, le vin de palme coulera à flot mais il n’y aura pas de danse et ni de musique. Quant on sait qu’un buffle peut coûter plusieurs milliers de dollars, on comprend pourquoi il faut attendre des mois avant de pouvoir célébrer les funérailles, la famille éloignée doit aussi amasser l’argent nécessaire pour se rendre à la cérémonie.
Les invités prennent le thé et mâchent de la noix de betel |
Notre initiation aux rites funéraires de Tana Toraja ne s’est pas limitée à cette funéraille… elle s’est poursuivie par la visite des principaux «cimetières» de la région, tous les plus étonnants les uns que les autres. À Tana Toraja, on n’incinère ni enterre les dépouilles, on les mets dans un cercueil de bois puis, selon les époques, on les suspend aux falaises (pour éviter que les animaux viennent les dévorer), on les dépose dans des cavernes et grottes naturelles ou on les met dans des cryptes creusées dans la roche. Cette dernière méthode est encore celle la plus pratiquée aujourd’hui; nous avons vu des tailleurs de pierre creuser de telles cryptes, à la main bien sûr, ce qui peut prendre des mois !
Crypte creusées dans la falaise et «tau tau» gardiens des tombeaux |
Autre fait intéressant, on accroche devant la grotte ou à la falaise, un «tau tau» (se prononce taou taou), un personnage de bois sculpté, parfois ressemblant au défunt, qui fait office de gardien du tombeau. C’est assez saisissant de les voir, grandeur nature, vêtus et peints, ils ressemblent à des vivants. En principe, la famille doit venir changer annuellement les vêtements du «tau tau».
Nous avons pu visiter plusieurs de ces sites funéraires qui datent parfois de plusieurs centaines d’années. Assez impression-nant de voir ces tombes de bois bien sûr toutes pourries qui laissent échapper quantité de crânes et d’ossements ainsi que les «tau tau» qui, rassemblés derrière des barreaux pour les protéger des vendeurs d’antiquités peu scrupuleux, posent comme pour un portrait de famille.
Il y a aussi les tombeaux des bébés qui sont très particuliers. Si un enfant meurt avant d’avoir ses dents, on le considère comme pur. On creuse alors un trou dans un grand arbre et on installe la dépouille en position fœtale dans cette cavité qu’on ferme ensuite avec une porte en bois. Il s’agit d’un arbre particulier qui donne du latex, le latex ressemblant au lait maternel, on est confiant que cet arbre prendra soin du bébé. De plus, il s’agit d’un arbre qui produit des fruits que les enfants adorent donc, une autre bonne raison de le choisir.
Mais n’allez surtout pas penser que la région de Tona Toraja se limite à ses traditions funéraires, il y a beaucoup plus. D’abord une architecture tout à fait unique et spectaculaire ! Les maisons mais surtout les granges qu’on utilise pour emmagasiner le riz, sont coiffées d’un toit aux pointes surélevées. Certains disent qu'elles ressemblent à un grand navire, rappelant que les ancêtres des torajiens sont venus de la mer, d'autres les associent à des cornes de buffles. Ces granges sont construites en hauteur sur des pieux faits avec un palmier à l’écorce tellement lisse que les rats et autres rongeurs ne peuvent y grimper. Plus vous avez de granges devant votre maison, plus vous êtes riches ! Les granges sont aussi décorées des cornes des buffles que la famille a sacrifiés durant les cérémonies funéraires. Là aussi, le nombre de corne indique votre richesse puisqu’il faut au moins sacrifier 24 buffles pour les funérailles d’un personnage important !
De magnifiques rizières en terrasses tapissent les montagnes de Tana Toraja |
Nous avons eu la chance d’être à la ville de Rantepao lors du grand marché qui se tient tous les 6 jours. On y vend de tout bien sûr, fruits, légumes, articles ménagers, vêtements etc. mais surtout des cochons et des buffles ! Il faut les voir ces «torajiens» exhibant fièrement leurs buffles, les bichonnant et les nourrissant à la main comme des enfants ! Les plus prisés et les plus coûteux sont ceux de couleur noire et blanche aux yeux bleus… des albinos… donc beaucoup plus rares et plus recherchés. Quant aux cochons, là, aucun sentiment, suspendus par les pattes à des longs bambous pour les transporter, on les laisse par terre tout haletant en attendant qu’un éventuel acheteur se présente. Le tout se complique lorsque l’acheteur n’a qu’une moto pour transporter une truie de plus de 50 kg ! Beaucoup de corde et de patience seront nécessaires pour l’installer sur la moto qui parfois tombe sur le côté sous cette lourde charge !